Les pays du Maghreb arabe, notamment la Tunisie, et leurs diasporas installées en France sont concernés par ce nouvel échiquier géopolitique en recomposition. Une victoire du Rassemblement national (RN) aux prochaines élections législatives en France devra inévitablement induire une reconfiguration profonde de la politique étrangère de la France.
La France connaît un tournant historique, voire un séisme politique. Le président français, Emmanuel Macron, a dissous l’Assemblée nationale et convoqué des élections législatives le 30 juin et le 7 juillet, pour le second tour. Une décision dictée presque par la victoire du RN aux élections européennes.
Partout en Europe, l’extrême droite avance. Les élections européennes de 2024 ont été marquées, en effet, par une progression de l’extrême droite dans plusieurs pays de l’Union européenne. En France, le Rassemblement National a largement remporté le scrutin avec plus de 31,5% des voix, devançant largement le parti Renaissance d’Emmanuel Macron.
«Je ne saurai donc, à l’issue de cette journée, faire comme si de rien n’était à cette situation… C’est pourquoi, après avoir procédé aux consultations prévues à l’article 12 de notre Constitution, j’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote», a indiqué Macron, déplorant les bons résultats de l’extrême droite en Europe et en France et provoquant un séisme politique dans le pays qui risque de voir des partis extrémistes s’emparer du pouvoir exécutif.
Sur le perron de Matignon ?
Par cette décision, le président français a provoqué stupeur et tremblements dans sa propre majorité, en annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale. Un coup politique loin de faire l’unanimité même dans ses troupes, qui y voient un « geste suicidaire », selon les médias français et qui pourrait faire accéder l’extrême droite à Matignon. Vainqueur des européennes, le parti de Marine Le Pen, le Rassemblement national, apparaît comme le grand favori des législatives.
D’aucuns y voient un séisme politique de part et d’autre de la Méditerranée, avec des répercussions aussi variées qu’inévitables. Les pays du Maghreb arabe, notamment la Tunisie, et leurs diasporas installées en France sont les plus concernés par ce nouvel échiquier en reconfiguration. En somme, une victoire du RN aux prochaines élections législatives en France pourrait induire une recomposition profonde des relations franco-tunisiennes, si l’on se réfère aux analyses des experts. Si certains domaines, comme la coopération sécuritaire, pourraient en bénéficier, d’autres, notamment l’émigration et les échanges économiques, pourraient en pâtir.
Avec l’extrême droite au pouvoir, il est fort probable que la politique étrangère française connaisse une inflexion significative. La Tunisie, partenaire économique et stratégique de la France, pourrait voir cette relation redéfinie sous le prisme de la politique nationaliste et souverainiste prônée par Marine Le Pen et le jeune président du parti, Jordan Bardella, déjà vus par certains sur le perron de Matignon. En effet, le RN, souvent critique des accords de libre-échange et des relations multilatérales, pourrait remettre en question certains aspects des coopérations actuelles, notamment dans les domaines de l’émigration et des échanges commerciaux.
Les binationaux doivent voter…
Nizar Jelidi, analyste politique et journaliste installé en France, partage cet avis. Selon lui, la montée en puissance de l’extrême droite était attendue « compte tenu des politiques appliquées par le président français qui ont renforcé la division ». Et de faire noter que cette nouvelle reconfiguration politique de l’Europe en général et de la France en particulier aura des conséquences significatives sur les politiques étrangères européennes, notamment la question migratoire, il faut donc s’attendre à un durcissement de ces politiques. « Macron a lui-même anticipé ces changements, en présentant il y a quelques mois, la loi sur la migration qui répond aux attentes des partisans de l’ex-Front national », a-t-il ajouté à La Presse.
Interrogé sur les répercussions au plan migratoire, Nizar Jelidi explique que l’extrême droite française reste inflexible, du fait que ces idées anti-migration constituent son principal cheval de bataille. « Dès les premières heures de cette campagne politique et électorale le RN a repris son discours xénophobe et ses plans anti-migration qui séduisent l’électorat, mais il ne faut pas oublier non plus que la France a connu samedi dernier l’une des plus grandes manifestations politiques qui refusent la montée en puissance de l’extrême droite », a-t-il ajouté, estimant que les répercussions d’un tel scénario seraient catastrophiques. « J’appelle tous les binationaux installés en France à aller voter et contrer la déferlante de l’extrême droite, car tout l’enjeu reste lié à la question migratoire, outre les questions géopolitiques relatives à l’énergie et à l’eau », a-t-il estimé, ajoutant que lors du deuxième tour, il y aura un véritable combat électoral entre l’extrême gauche et l’extrême droite.
Pour la Tunisie, ce durcissement pourrait, donc, se traduire par une réduction des opportunités de migration légale vers l’Europe, ainsi qu’une augmentation des contrôles frontaliers et des mesures de rapatriement.
Un refus populaire en ordre de bataille
En France, l’un des points centraux du programme de l’extrême droite reste donc la réduction drastique de l’émigration légale. Ces partis plaident pour des politiques plus strictes en matière d’asile et de regroupement familial, ainsi qu’une réduction significative des visas délivrés pour étudier et travailler en France. Dans ce contexte, le concept de «priorité nationale» est souvent mis en avant, signifiant que les citoyens français devraient avoir la priorité sur les étrangers en matière d’emploi, de logement et d’accès aux aides sociales.
Dans cette doctrine figure également une autre composante clé qui est la lutte contre ce qu’ils perçoivent comme une menace islamiste. Ils associent souvent l’émigration, en particulier en provenance des pays musulmans, à une augmentation du risque de radicalisation et de terrorisme.
Sauf que la montée de l’extrême droite en Europe est confrontée à un refus populaire. En effet, des centaines de milliers de Français ont déferlé dans les rues samedi dernier pour dire non à l’extrême droite, répondant à l’appel d’un large front uni de syndicats, d’associations et de la coalition de gauche du Nouveau front populaire. Face à la menace d’un RN aux portes du pouvoir, la mobilisation citoyenne a été d’une ampleur inédite, nourrie par la peur de voir l’extrême droite s’imposer et par l’espoir d’un changement de cap par le biais d’une gauche unie.